J'ai participé hier à une clinic session gratuite de 2 heures avec Victor Wooten. C'était assez intéressant. C'était une sorte d'échange, on pouvait lui poser toute sorte de question et il répondait, souvent en illustrant ses propos en jouant.
C'était juste lui et son batteur JD Blair, dans une configuration minimaliste (caisse claire, GC, charley, 1 cymbale pour JD et 1 ampli, 1 basse et 1 loop station pour Victor).
Tout ce qu'il faisait était d'une très grande simplicité, aucune démo, le batteur jouait aux balais la plupart du temps.
En gros, il a expliqué que la musique est un langage et qu'on devrait l'apprendre comme un langage. On apprend pas à lire avant de parler, çà devrait être pareil en musique. Les gammes, les modes, tout çà c'est bien, mais il faut d'abord avoir un truc à dire. Pour lui, la seule gamme à bosser c'est la chromatique : toute note peut sonner, il n'y a pas de fausse note, il ne faut pas se prendre la tête à se demander ce qu'on peut jouer ou pas jouer, tout est dans l'intention. Il s'est alors jeté dans quelques démos infernales dans lesquelles il nous a montré que tout pouvait sonner, que rien n'est faux.
Selon lui, il faut plus penser en termes de sonorités, espaces et dynamiques (tension / résolution), que notes, temps, gammes et modes.
Il dit aussi qu'il faut passer plus de temps à jouer qu'à s'entrainer. Tout le monde peut jouer, il nous a montré comment son frère l'a fait jouer sur scène quand il avait 5-6 ans. Il nous a alors pondu un morceau avec solo sur une seule note (SOL grave), avec passage à un moment par une seconde note et retour à la première, je peux vous garantir que çà envoyait grave.
Il dit qu'il suffit d'écouter et de jouer, de développer ses propres patterns et ses propres techniques, et de jouer, de réflechir à ce qu'on fait, d'être concentré et de jouer. Ecouter et s'écouter soi-même, avoir envie de dire quelque chose tout en tenant compte des gens qui sont là autour.
Je pense qu'il est lui même à un tournant de sa carrière. Il dit qu'il s'intéresse essentiellement aux musiques espagnoles et brésiliennes en ce moment. Il veut prendre des risques, se surprendre lui-même, aller plus loin, trouver des nouveaux sons, des nouveaux styles. Faire des erreurs. Il a eu toute une explication sur le fait qu'on apprend juste à aller vers la perfection et qu'on n'apprend pas à gérer ses erreurs. Pour lui, il faut se préparer aux erreurs, il n'y a pas de fausses notes si tout de suite après on les réutilise à bon escient.
Sur la dynamique il développe de nouvelles techniques dans lesquelles il effleure à peine les cordes, les sons sont tout légers, et pourtant ils sonnent bien. Il expliquait aussi comment ôter des notes pour rendre les solos plus intéressants. Il part d'une boucle en 4 /4 et se met à improviser en 7 /4 dessus. Quand çà commence à tourner il retire certaines notes et tout de suite c'était mieux.
NB : il a aussi expliqué comment faire pour bosser n'importe quelle signature ryhtmique sur du 4/4 .... mais j'y ai rien compris.
Il a fait monter des types sur scène à plusieurs moments, dont un jeune batteur et un saxophoniste. Son but était de montrer comment on amène n'importe qui à jouer mieux, par ce que l'on fait soi-même.
Il a aussi répondu à une question sur ce qu'il pensait de tous les peine-à-jouir qui le critiquent en disant que ce qu'il fait n'est pas musical, que c'est de la branlette, etc.
Sa réponse était bien, mais il suffit de bien écouter ce qu'il fait pour comprendre (comme dirait Victor de vraiment bien écouter).
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Le soir, toute autre ambiance, concert de 3 heures, en configuration basse - batterie, mais avec tout un artifice d'effets, loops, etc. L'ami Victor a mis en pratique tous ses conseils, en faisant monter ses amis sur scène, ses enfants, en prenant des risques, en se trompant, en allant plus loin que ce qu'il fait d'habitude. Assez impressionnant et touchant. Il a pris ses anciens morceaux et les a déstructurés en improvisation totale, comme dans une répétition. Beaucoup de nouveaux solos hispanisant ou brésiliens.
Du fait des loops, beaucoup de musiques répétitives, groovy comme une sorte de transe, de communion. On le sentait imprégné d'une volonté de faire passer des idées.
A un moment, il a repris Spain de Chick Corea, en jouant tous les instruments en loop, et en rajoutant des solos, parfois juste dans le thème parfois complètement out pendant plusieurs minutes. Complète illustration de ses propos de l'après-midi. Tensions, intentions, intensités, densités, sons.
Il a le concert terminé par un très long solo hispanisant et hallucinant de technique et de variations.
Beaucoup d'émotions, de la musique vivante, par un grand artiste. Je ne suis pas sûr que tout le monde le suive dans cette voie, personnellement çà m'a plu, vous l'aurez compris.
Beaucoup d'erreurs, mais aussi beaucoup d'humour, d'honnêteté, de simplicité, de créativité, de vibrations. Bref, l'évidence du génie. Une bien belle soirée, sous le signe du groove.