Uncle Fester raconte: San Francisco, take 3: le bout de la routeLa performance de
Howl en 1955 crée le mythe beat par excellence, celui de la Bay Area, San Francisco et North Beach, que les poètes beat ont transformé en une espèce d'image d'Epinal en réminiscence d'un Montmarte début de siècle fantasmé, avec des coffehouses où se pressent les poètes, célèbres ou non, pour déclamer de grandes envolées furieuses où résonnent les échos de Baudelaire et Whitman.. Une ville de poètes, d'artistes, de romanciers, un bout d'Europe à flanc d'Amérique avec ses petites maisons en bois qui s'entremêlent au flanc des coteaux, avec le Pacifique en ligne d'horizon… Le phénomène, de marginal dans la première moitié des années 1950, explose en 1957, avec la publication du
Sur la Route de Kerouac, road-novel halluciné qui se termine précisement à Frisco, où Kerouac et sa femme, mais aussi Ginsberg ou Neal Cassady (le "héros" Dan de
Sur la route), se sont installés. Pour des milliers de jeunes Américains, c'est la révélation tant attendue: il existe un ailleurs où l'on peut vivre (et se défoncer) libre, loin de l'oppressant puritanisme de la société américaine des 50's. La migration des beatniks, ces anti-héros absolus de l'Amérique, qui se définissent eux-mêmes comme des battus d'avance ('to beat'), mais aussi des adeptes de la béatitude, aux antipodes des 30 glorieuses travailleuses et consuméristes qui battent alors leur plein. La drogue joue un rôle, essentiellement la marijuana, même si les expériences avec les drogues mexicaines commencent aussi: en 1954, Huxley, même s'il n'est pas beatnik, publie
The Doors of Perception, d'après le poème de Blake déjà mentionné, qui narre son expérience de la mescaline. L'Amérique découvre les joies des psychotropes, par livre interposé, mais forcément, y'en a que ça va titiller…
La littérature joue le rôle premier dans cette scène, mais la musique n'est pas en reste: pour les batniks de la première génération, écrire se veut le miroir d'une musique (en core un 'beat'), une musique de noirs à laquelle des petits blancs comme eux ne devraient pas avoir accès, le be-bop, puis le hard bop. Rarement musiciens eux-mêmes, ils se pressent aux sets de musiciens noirs comme Miles Davis, John Coltrane ou Lester Young (l'autre Prez'), auxquels ils mêlent parfois leurs incantations poétiques. Pour les Boppeurs noirs, ce sont avant tout des petits blancs qui se la pètent, entre eux ils ont même un qualificatif désobligeant pour les désigner: des "hippies" (de "hip", le truc à la mode, des branchouilles quoi) Le terme ne sortira pas du jargon. Pas encore…
Miles and Trane:
http://www.youtube.com/watch?v=x-fsn7JD6Kw Pour les beatniks de la deuxième vague, qui commencent à arriver au tout début des 60's, ramassis d'étudiants ou de jeunes blancs un peu paumés qui viennent s'échouer à North Beach, la musique, la vraie, la seule qui vaille le coup, c'est pas le jazz, mais le folk, celui de Pete Seeger et Woody Guthrie. Sous leur influence, North Beach devient le pendant pacifique du Greenwich Village, où sensiblement au même moment un blanc-bec un rien mythomane, né Robert Zimmerman mais rebaptisé pour l'occasion Bob Dylan, fait ses armes. La scène locale, à San Francisco, fait se croise ces gamins, âgés de 16 à 20 ans, qui jouent ensemble dans les coffehouses de North Beach: on y croise ainsi Paul Kantner (g), David Freiberg (g à l'époque je crois), le fingerpicker virtuose Jorma "Jerry" Kaukonen, adepte du folk et du blues à la 'Blind' 'Reverend' Gary Davis, ou encore le banjoiste, lui aussi virtuose Jerry Garcia, qui se taille une sérieuse réputation dans le blue-grass. Certains sont plus orientés blues, comme le pinaiste Ron McKernan, ou une chanteuse un peu moche et complétement allumée au Southern Confort et aux métamphétamines, fraîchement débarquée de son Texas natal, Janis Joplin.
L'avantage du folk, c'est que ça ne pardonne rien, et que la scène est alors hyper élitiste et pointue. Tous les musiciens qui en sortiront seront, sans exception, des pointures en matière d'instrumentation, ce qui les distingue du rock alors en pleine explosion. Mais ça, c'est pour une autre fois ;)
Woody Guthrie:
http://www.youtube.com/watch?v=XaI5IRuS2aE Pete Seeger:
http://www.youtube.com/watch?v=AN3rN59GlWw Blind Gary Davis:
http://www.youtube.com/watch?v=g5qx0I2tyTI … et un early Dylan, pour le plaisir:
http://www.youtube.com/watch?v=ced8o50G9kg